Dans mon enfance, un
soir d’automne, alors qu’un vent froid et humide soufflait dehors, il m’est
arrivé une expérience troublante.
Pour un bref instant, en passant devant le
miroir à pharmacie, j’ai vu un autre visage que le mien! Une image difforme vaguement
humaine. Ça m’a coupé le souffle.
J’en ai été figé et terrorisé. Quelques
instants plus tard, j’y ai jeté un coup d’œil prudent pour, avec grand
soulagement, n’y découvrir que mon visage.
Je n’ai vécu cette
expérience qu’une seule fois dans ma vie cependant, elle a été tellement
traumatisante, qu’encore aujourd’hui, cinquante ans plus tard, je me surprends
parfois à hésiter à regarder directement dans un miroir…
Je crois que j’ai peur
de revoir dans le miroir quelque chose d’inattendu. La peur et l’insécurité
humaine devant l’inconnu. Étrangement l’humain anticipe souvent le pire devant
l’inconnu. Pourquoi faisons-nous ce choix inconsciemment? Une sorte de blocage
inséré dans nos gênes, c’est inconnu alors, n’y va pas!
Plus tard, je me suis
questionné sur cette expérience. Qu’avais-je vu? C’était avant l’ère
informatique alors, j’ai dû me rabattre sur la recherche et lectures à la
bibliothèque municipale. C’est devenu une véritable obsession. En passant par
le comportement de la lumière, le fonctionnement de l’œil et du cerveau qui ne
fait qu’interpréter les signaux qu’il reçoit, les univers parallèles jusqu’aux
récits d’hantises et de possession. Une passionnante recherche mais rien qui
puisse totalement satisfaire ma curiosité.
À la base, un miroir
n’est qu’un objet respectant les lois de l’optique. Il transmet une image et parfois,
peut-être plus…
Dans l’antiquité, le
miroir, objet destiné à la toilette et au maquillage, est entouré de mystère,
le reflet de la dure réalité est un outil d’amélioration même thérapeutique. Platon
offrait un miroir aux ivrognes pour qu’ils voient leur visage déformé par l’alcool.
Les égyptiens
inséraient des miroirs avec le matériel funéraire accompagnant le défunt. Ils
comprenaient que le miroir révèle plus que la simple réflexion du visage,
permettant aussi d’exposer l’âme.
Comme avec une boule
de cristal, certains utilisent le miroir pour y voir d’autres époques,
dimensions, lieux et monde parallèles.
À cette époque je
commençais à constater les changements de mon corps. La minute occasionnelle
devant le miroir de la salle de bain était, une première expérience d’intimité
totale dans ma vie de garçon. Une expérience très personnelle et révélatrice.
Un des rares privilèges accordés à tous et à tout âge, qu’on ne veut pas
nécessairement partager. Parfois choquante, l’image plus que réelle de soi,
dépasse notre égo, brise toutes les barrières.
Ai-je vu mon âme? À
l’âge pré pubertaire, enfant précoce, j’anticipais l’accession aux privilèges
des adultes, la maturité, les responsabilités, les obligations et aussi, les
interdits! Avais-je constaté ma peur devant l’inconnu de mon propre avenir?
Avec le temps, en
vieillissant, j’ai réalisé l’importance de surmonter la peur devant l’inconnu
mais, avec prudence car, évoluer en franchissant nos inquiétudes nous confronte
parfois devant les plus grands défis, souffrances et même le doute.
Par peur des
conséquences, plusieurs préfèrent s’enliser dans le confort et la sécurité de
la stabilité et l’inaction, même au dépend d’une vie médiocre.
Je me suis demandé,
quelle serait la réflexion de l’humanité concentrée dans le corps d’un seul
individu. Y aurait-il une vision inattendue? Un choc révélateur, la peur, la
provocation d’un saut évolutif? J’en suis venu à la conclusion plutôt
pessimiste que ça n’arrivera jamais!
L’humanité ne fera
jamais un auto-examen, seule une influence extérieure la poussera au niveau supérieur
ou inférieur. À date, les forces de la nature ont eu raison de l’humain, et
comme le passé est garant du futur, il y a fort à parier que le cycle se
répétera, une inévitable réalité de l’univers.
L’Amérique du Nord fut complètement recouverte d’une épaisse couverture de
cendre éliminant toute vie lors de la dernière éruption du volcan Yellow Stone.
Le temps devient un
miroir. Les théories de l’intrication quantique suggèrent que le temps et
l’espace peuvent converger, en d’autres mots, il est possible à un moment bien
précis d’être présent là où se produit un repli de l’univers reliant deux
endroits distants.
Ah! Ai-je compris que
mon expérience de vision dans le miroir n’était qu’une distorsion temporelle,
une vague dans l’espace-temps, une convergence des lois de l’univers?
Non, je n’ai été
visité que par un fantôme venu me coller une frousse en ce soir d’automne.